Une danseuse italienne préparant la fuite à Varennes? (8)

Publié le par pimprenelle

Un couple très en vue, décidément... Craufurd a meublé avec le plus grand soin sa maison de la rue d'Anjou, au faubourg Saint Honoré. Sa collection de portraits, unique au monde, y attire tous les compliments et, pour le reste, la bonne grosse Madame Craufurd fait les honneurs de chez elle avec beaucoup de complaisance, se souvient le Prince de Carly.  

Les Craufurd et la comtesse d'Orsay sont la coqueluche des salons du Faubourg Saint Germain. Eleonore y est connue sous le nom de Madame Sullivan, en mémoire de son dévouement pour Marie Antoinette. Les royalistes se déplacent donc pour l'honorer... ou par curiosité. Et il faut avouer qu'il y a de quoi, si l'on en croit la description d'Elzar de Sabran! 

L'objet le plus frappant de la cohue était Madame Sullivan, qui avait fait conspirer tous les diamants des toutes les couronnes des Indes à dénoncer toutes ses rides et la déconfiture de ses charmes. Elle éclipsait tous les écrins, mais faisait valoir tous les attraits. Son gros visage était surmonté d'une perruque de toison de mouton de Barbarie toute frisée, plus crépue que la barbe de Polyphème et teinte d'un noir de cambouis, d'un noir plus noir que le noir, de peur qu'on y soupçonnât un cheveu gris. Par là-dessus était suspendu l'éclatant diadème qui paraissait en l'air et menaçait de rouler par terre, surtout à présent que c'est leur mode de tomber comme la grêle. Elle semblait s'être constituée le lustre de la chambre (car elle ne pouvait être celui de l'assemblée) et servait au moins généreusement à éclairer la jeunesse et la beauté des autres. 
 
Craufurd est toujours à Paris au moment de l'abdication de Napoléon, et toujours proche de Joséphine. Sous la restauration, il recouvre tout à fait sa liberté de mouvements. Mais ses retrouvailles avec la Grande Bretagne ne lui apportent pas que du bonheur: son neveu intente un procès pour tenter de récupérer les bribes de sa fortune. 
 
 


Ce n'est pas le seul scandale à assombrir ses vieux jours. En 1818, Decazes prend contre lui un acte d'expulsion, qui ne sera pas appliqué. Mais, ayant tenté de pénétrer de force dans la maison de la rue d'Anjou, il est condamné à 6 mois de prison et finalement expulsé en 1821. Il avait menacé Louis XVIII de publier un document relatif à l'affaire Favras... 

Pourtant Quintin demeure à Paris jusqu'au 23 novembre 1819, date où il décède, au milieu de ses livres et de ses collections

Eleonore, quant à elle, est très bien vue des Tuileries, la duchesse d'Angoulême ayant signalé son dévouement, son courage et ses services secrets. Elle était restée en contact avec les fidèles de Marie Antoinette, comme Goguelat et Jarjayes. 

Elle meurt le 14 septembre 1833, âgée de 83 ans, 4 ans après sa fille. Sa petite-fille, Ida d'Orsay, épouse en 1818 le duc de Guiche, plus tard duc de Gramont et fils d'Aglaé de Polignac. Aglaé qui avait tenté en 1801 de négocier avec Bonaparte le retour des Bourbons... 
 
Quels êtres extraordinaires ! Acteurs passionnément en prise avec une époque hors du commun. Ainsi, ces trois étrangers, Quintin l'Anglais, Eleonore l'Italienne et Axel le Suédois, ont risqué leur vie pour la couronne de France. Curieusement, la postérité n'a retenu que le nom de Fersen. Elle a oublié la générosité sublime de sa maîtresse, Madame Sullivan, qui était prête à tous les sacrifices pour sauver la reine. Elle a négligé Monsieur Craufurd, trop absorbé dans ses livres, peut-être, pour émoustiller les esprits. 
 
Non... L'Histoire garde braqués les projecteurs sur l'héroïque figure de Fersen uniquement. 
 
Moi, l'image qui me touche particulièrement, c'est celle d'Eleonore Sullivan veillant à tous les détails matériels de la berline, pour que les voyageurs soient entourés de confort, tendre et maternelle comme un ange... ou une bonne fée... 
Une danseuse italienne préparant la fuite à Varennes? (8)

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